dimanche 20 mars 2016

"La Juive" d’Halévy anobli par Olivier Py animant une brillante distribution

Lyon. Festival de l'Humanité. Opéra national de Lyon. Mercredi 16 mars 2016

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Rachel Harnisch (Rachel). Photo : (c) Opéra national de Lyon

Neuf ans après que Gérard Mortier en eut confié la mise en scène à Pierre Audi à l’Opéra-Bastille, Serge Dorny programme à l’Opéra de Lyon La Juive de Jacques Fromental Halévy (1799-1862), ouvrage pour lequel il fait appel à Olivier Py.

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Nikolaï Schukoff (Eléazar), Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie). Photo : (c) Opéra national de Lyon

Créé le 23 février 1835, Salle Le Peletier, La Juive disparaissait de l’affiche de l’Opéra de Paris un siècle plus tard, un soir d’avril 1934, avant sa six centième représentation. Le succès de l’ouvrage est conforté par le fait qu’il a été choisi pour l’inauguration du Palais Garnier en 1875. Sa disparition soudaine concorde avec la montée en puissance du nazisme et de son antisémitisme. Le livret d’Eugène Scribe est l’archétype du grand opéra à la française en vogue à l’époque, avec ses vers de mirliton aux ressorts dramatiques emplis d’actions spectaculaires aptes à inspirer une musique aux élans passionnés et au lyrisme rutilant permettant l’introduction de grands chœurs et de ballets dans des décors enrichis d’effets spéciaux et de figurants en abondance. Bref, tous les ingrédients du futur mélo hollywoodien soutenu par une musique de cirque. Si bien qu’aujourd’hui l’on ne peut que féliciter les théâtres de donner l’ouvrage tronqué de près d’une heure et demie, plus particulièrement de ses ballets.

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Rachel Harnisch (Rachel), Enea Scala (Leopold). Photo : (c) Opéra national de Lyon

Resté dans les mémoires essentiellement par le fameux air « Rachel, quand du Seigneur » spécialement écrit pour le ténor Adolphe Nourrit, qui interprétait à la création le rôle d’Eléazar, ce mélodrame d’Halévy est peu donné aujourd’hui en raison sans doute des difficultés inhérentes à son écriture vocale qui nécessite une distribution de premier plan (et deux ténors de haute pointure, alors qu’il est déjà difficile d’en trouver un), sachant associer vaillance et élégance. L’ouvrage n’est pas exempt de longueurs, même réduit à trois heures au lieu de quatre heures trente, qui font perdre le fil, particulièrement dans la première heure. Il s’y trouve de bons moments, dramatiquement forts, humainement intenses, tandis que le sujet est d’une pérenne actualité, le tout étant agrémenté d’une prosodie claire mais dont le corollaire est la perception patente de la faiblesse des vers. 

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Rachel Harnisch (Rachel), Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie). Photo : (c) Opéra national de Lyon

C’est en tout cas ce que j’ai ressenti le soir de la première lyonnaise, sous la direction un trop fervente de Daniele Rustini, qui succédera dans deux ans à Kazushi Ono au poste de directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. Certes, le chef italien souligne le lyrisme de la partition mais en aplanit les raffinements, mettant au contraire en évidence le tour pompeux, malgré un orchestre lyonnais en grande forme, notamment les pupitres de violoncelle, où l’on se surprend à relever quelque trait annonciateur de Don Carlos de Verdi, mais aussi les bois et les cuivres.

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie), Enea Scala (Leopold). Photo : (c) Opéra national de Lyon

La mise en scène d’Olivier Py est en revanche spectaculaire. Py met en évidence l’actualité de La Juive, l’intolérance religieuse, le fanatisme obscurantiste, la misogynie. Le décor de son fidèle scénographe Pierre-André Weitz, est impressionnant. Au sommet d’un escalier monumental, un cadre de bibliothèque tournant lentement sur lui-même de cour à jardin derrière lequel s’étend une forêt d’arbres dénudés, souligne le manichéisme du livret d’autant plus qu’il est éclairé en noir et blanc. L’action se déploie au sein de cette imposante bibliothèque qui renvoie à celle vue la veille dans Benjamin, dernière nuit. Celle de Weitz est en constante transformation, sa verticalité formant un mur renvoi les voix, ce qui permet aux chanteurs de passer sans dommage la rampe sonore excessivement exaltée de l’orchestre de Rustini.

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Roberto Scandiuzzi (Cardinal Brogni), Sabina Puértolas (Princesse Eudoxie), Enea Scala (Leopold). Photo : (c) Opéra national de Lyon

La distribution réunie à Lyon est de belle tenue. Digne successeur de Neil Shicoff dans ce même rôle, Nikolaï Schukoff fait sien le rôle d’Eléazar, personnage mû si violemment par la rancœur qu’il en sacrifie par le feu sa fille adoptive qu’il avait pourtant sauvée des flammes enfant. Sa voix est solide et malléable (les murmures du début de l’air le plus fameux de l’œuvre), et il vit littéralement ce rôles. Tout aussi fragile en cardinal de Brogni (que Py transforme étonnement en pape), Roberto Scandiuzzi a les graves et la densité requis par ce personnage en constante évolution. Le falot Léopold est bien campé par Enea Scala, voix ferme et puissante. Vincent Le Texier anoblit de son altière stature le personnage de Ruggiero, et Charles Rice est un élégant Albert. 

Jacques Fromental Halévy (1799-1862), La Juive. Roberto Scandiuzzi (Cardinal Brogni), Rachel Harnisch (Rachel). Photo : (c) Opéra nationalo de Lyon

Côté femmes Sabina Piértolas est une princesse Eudoxie aux aigus rayonnants, séduisante et sensuelle, vêtue d’une robe noire dont les dentelles laissent percer les attraits sa voix solide et brûlante. Rachel Harnisch est une Rachel ardente et tragique, son timbre de braise, sa voix d’airain, sa diction parfaite portent la plus petite inflexion de cet ouvrage où elle est omniprésente.

Bruno Serrou


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